Êtes-vous déjà impliqué dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) ? Bien que j’analyse des données depuis plus de 20 ans, mon entreprise CALYPS n’est entrée dans la nouvelle ère de la science des données que récemment.
Notre équipe a en effet développé une IA capable de désengorger les urgences d’un hôpital. Et ça marche: nommé CALYPS Saniia, notre logiciel en production à l’hôpital de Valenciennes en France (1800+ lits) anticipe le nombre d’arrivées aux urgences jusqu’à 5 jours avant, avec un niveau de confiance allant jusqu’à 90%. Il intègre également un outil de répartition des lits pour chaque service-clé, initiant ainsi une révolution en termes de prédiction des cas et d’allocation des ressources. Même les chaînes de télévision nationales (cf. flashs d’information sur France 2, France 3 ou France 24) ont salué la pertinence des prédictions de CALYPS Saniia… quel honneur !
Alors comment avons-nous construit notre équipe de rêve – Karim Bensaci, responsable produits et solutions ; PhD Hugo Flayac, data scientist ; Abdourahmane Faye, expert en plateformes cloud et IA – et une solution de santé aussi disruptive en moins de 2 ans ?
(Y-5) Avant la phase d’accélération
En 2015, CALYPS a amorcé son virage stratégique en réalisant sa première étude en Suisse auprès de différents représentants et employés d’hôpitaux publics ou de cliniques privées. Notre enquête était liée aux nouvelles données « médico-économiques » en usage à l’époque : pour cela, nous avons interrogé 30 cadres médicaux, PDG, CTO, présidents et membres de conseils d’administration.
En réponse au besoin de plus de KPIs, nous avons développé une plateforme analytique appelée mediCAL dashboard (demo) dont l’objectif est de centraliser les données fournies par les systèmes d’information d’un établissement de santé (dossier patient, RIS, laboratoire, etc.) avec une vue à 360° du parcours patient.
En 2017, après avoir implémenté le tableau de bord mediCAL pour optimiser l’organisation et la planification des opérations ambulatoires dans un hôpital suisse, nous avons réalisé que nous pouvions faire plus que représenter le passé. Nous disposions de données sous forme de séries temporelles, bien adaptées à l’utilisation du Machine Learning (ML).
(Y-2) Accélération et constatations
C’est dans cette optique que nous avons lancé en 2018 une recherche Innosuisse en collaboration avec la HEIG-VD (Haute école spécialisée) et l’un de ses plus brillants data scientist, le docteur Hugo Flayac. Notre objectif était de développer une solution pour la gestion et la planification des flux d’opérations ambulatoires sous incertitude.
Nous avons collaboré avec un hôpital de la région lémanique et, après quelques mois, nous sommes passés des flux ambulatoires aux flux hospitaliers car le besoin de planification sous incertitude était encore plus évident. Dans ce projet, nous avons pu transcrire la réalité du terrain en analysant ses données. Je garde encore à l’esprit la citation d’un membre du conseil d’administration :
Incroyable: avec peu de contribution de notre part, vous avez pu représenter la réalité en si peu de temps!
Nous avons ainsi pu fournir des éléments d’anticipation pour les flux ambulatoires et hospitaliers, notamment par la prédiction de la durée de séjour. Lors d’une discussion avec un consortium d’hôpitaux parisiens, nous avons compris que l’incertitude était à son comble lorsqu’il fallait intégrer les arrivées des urgences dans un flux planifié. Les urgences générant environ 30% des hospitalisations sur une année, elles vont d’une manière ou d’une autre perturber l’organisation et la planification des soins.
(2019) Première implémentation de CALYPS Saniia
La mise en œuvre au Centre Hospitalier de Valenciennes s’est faite progressivement, en commençant par l’intégration des données de l’hôpital. Tout d’abord, la préparation des données. A chaque itération, l’objectif était d’évaluer les variables qui impactent les prédictions et de les prendre en compte dans notre modèle prédictif. Ce n’est qu’ensuite que nous avons intégré des données provenant de l’extérieur de l’hôpital, telles que la météo, les lieux de pratique sportive – les matchs de football au mythique stade du Hainaut peuvent aussi entraîner leur lot de blessures – les événements culturels, les vacances ou le calendrier des congés.
Nous avons travaillé main dans la main avec le personnel médical qui devait interpréter et agir sur ces prédictions. La collaboration interne (1), l’évangélisation (2) et la formation (3) sont trois éléments clés de l’adhésion au système, de la confiance dans les prédictions et de l’apaisement de toute crainte résiduelle.
Durant l’été 2019, nous avons démarré une expérimentation en temps réel au Centre Hospitalier de Valenciennes et, six semaines plus tard, nous avons fourni des prédictions quotidiennes d’arrivées aux urgences avec une précision >90% sur la période.
Comment CALYPS Saniia fonctionne
En bref, qu’il s’agisse d’un flux d’arrivée aux urgences ou de la trajectoire d’un patient, les données nécessaires à de bonnes prédictions sont plus ou moins les mêmes. Grâce à cela, l’enchaînement des actions liées au flux peut être anticipé et garde un impact positif sur les soignants ou les patients.
Nos algorithmes sont basés sur des réseaux de neurones artificiels (Deep Learning) alimentés par une variété de données passées et présentes fournies par l’hôpital. Nous construisons des signaux considérés comme clés et entraînons le système à trouver des liens entre ces signaux, en ajoutant une notion de temps. Par exemple, les admissions ont clairement un impact sur les hospitalisations, la charge du service (l’indicateur associé est appelé Tension) et les sorties d’hôpital à suivre. D’autre part, les admissions sont influencées par des facteurs externes : météo, vacances, événements, maladies saisonnières qui doivent être intégrés pour atteindre une performance stable tout au long de l’année, en particulier lors des pics d’activité.
Notre politique est d’informer sans décider à la place du médecin : les prévisions de flux d’admission permettent au chef du service des urgences de dimensionner ses équipes de manière optimale 5 jours à l’avance. Sur une journée, nos prévisions de Tension (nombre de patients présents à un moment donné) permettent à chaque équipe de mieux anticiper la situation du service heure par heure. Nous proposons ensuite des solutions d’hébergement (lit) en aval des urgences pour les patients nécessitant une hospitalisation.
CALYPS Saniia grandeur nature
Actuellement, CALYPS Saniia est utilisé quotidiennement par le chef du service des urgences au Centre Hospitalier de Valenciennes. Les médecins et les soignants reçoivent également leur propre niveau d’information (le chef reçoit les prévisions à 5 jours, les médecins à 2 jours, les soignants à 2 heures). Enfin, les bénéfices sont nombreux : le personnel est soulagé en cas de tension majeure et peut se concentrer sur sa mission première. Les patients, quant à eux, en bénéficieront indirectement.
De l’anticipation des flux aux urgences à la gestion des flux en aval et au post-soin
En étant capable de prédire les flux entrants, leur typologie et leur durée, le lien avec la planification hospitalière globale et la prise en charge des patients semble évident. Depuis début 2020, nous travaillons sur la prochaine génération de CALYPS Saniia et prévoyons le déploiement d’une plateforme de coordination hospitalière avec pour objectif une gestion intelligente et en temps réel des lits incluant des recommandations de séjours, l’allocation de sites et l’anticipation des sorties.
Concernant le Covid-19, nous avons construit des signaux spécifiques pour détecter les patients présentant des symptômes grippaux et donc potentiellement des Coronavirus. Notre algorithme apprend toujours de la situation actuelle et s’inspire des impacts de la grippe pour anticiper les suspicions de cas. En cas de nouvelle épidémie (ou de reprise d’un pic), notre système sera prêt à mieux l’anticiper. Les données territoriales en temps réel seraient un atout supplémentaire pour affiner nos prédictions en lien avec le Covid-19 et nous y travaillons activement, notamment en France.
Une histoire à suivre, c’est certain.